Un chat vertueux
Dans les temps les plus anciens, existait un chat vertueux, appelé « chat d’Ighnaïn». Il était connu pour sa bonté, son intégrité et sa fidélité. Il était très apprécié dans son entourage. Comme il ne pouvait pas s’acquitter des travaux assumés par les hommes, la famille qui l’avait adopté l’affecta aux courses. Un jour d’été, il fût chargé d’apporter le déjeuner aux moissonneurs. Dans son panier, il avait une grande quantité de nourriture : pain, huile, beurre, miel, lait… Sur son chemin, il tomba sur un hérisson qui semblait souffrir. Il marchait péniblement en poussant des gémissements de douleur : « aïe, aïe, aïe…». Il s’apitoya sur son sort, s’approcha de lui et lui proposa son aide :
- Que puis-je pour vous ?
Celui-ci, d’une petite voix à peine audible, le supplia :
- Âme charitable, je vous prie de me transporter jusqu’à ma demeure, elle est sur votre chemin. J’ai trop mal, je n’arrive pas à marcher.
Sans hésiter, le chat se pencha sur lui, le ramassa délicatement et le posa doucement au fond du panier. Une fois bien installé dans le panier, le hérisson se frotta les pattes. Il arbora un large sourire et se mit à saliver. Il jubila face à un tel banquet. Ce fut avec voracité, qu’il puisa dans le miel, le beurre… Une fois rassasié, il s’adressa à son bienfaiteur :
- Âme charitable, je vous prie de me déposer ici, je suis arrivé à destination. Je vous serai reconnaissant toute ma vie.
Mais avant de s’en aller, feignant une révérence en signe d’adieu, il prit soin d’enduire de beurre rance la queue du chat. Ne se doutant de rien, bercé par l’euphorie d’avoir accompli un geste charitable, le chat continua son chemin en chantonnant : « miaou, miaouou…». Quand ils l’aperçurent, les moissonneurs tenaillés par la faim se précipitèrent à sa rencontre et lui arrachèrent le panier. Dès qu’ils y jetèrent un regard, ils se figèrent et échangèrent des regards consternés : il y avait très peu de nourriture. Ils interrogèrent le chat qui nia catégoriquement avoir puisé dans le contenu du panier.
- Si ce n’est pas toi, qui est le coupable à ton avis ?
- Je vous jure que je ne sais pas. C’est vraiment un mystère.
Décontenancés, les moissonneurs s’approchèrent du suspect à la recherche d’un indice qui prouve sa culpabilité. Il dût ouvrir la bouche : il n’y avait ni trace de nourriture ni odeur du beurre. On passa au crible fin ses pattes, il n’y eut rien à signaler. Mais dès que les nez flairèrent la queue, ils furent envahis par l’odeur du beurre rance et crièrent tous :
- C’est elle la coupable ! C’est elle la voleuse ! C’est ta queue !
Furieux contre sa queue, le chat se tourna vers elle, la secoua, lui fit mordre la poussière en lui disant :
- Quand tu me suivais et m’obéissais, je te reconnaissais mienne. À présent, tu oses me trahir et manger à mon insu, tu me fais honte espèce de chapardeuse. Je te renie ! Je te renie ! lui cria-t-il fou de rage. Et d’un coup de dents, il la cisailla. Comme une ordure, il la jeta loin de lui.