Les visages sur le mur
Deux sœurs vivaient ensemble; l'aînée était très belle et la cadette très laide. La belle était courtisée par tous les jeunes hommes des environs, et celle qui était laide n'attirait même pas le regard des vieillards. Et pourtant, la vilaine avait un cœur en or, et la belle était méchante et prétentieuse. Ainsi va le monde!
Un soir, la jeune fille laide se dit: « Ici, rien de bon ne m'attend. Je construirai une maison à la montagne et j'y vivrai seule. Plus personne ne verra mon visage ni ne se moquera de moi. »
Au petit matin, elle quitta le village et se dirigea vers la montagne. La jeune fille marcha toute la journée, et ses jambes étaient fatiguées lorsqu'elle aperçut enfin un filet de fumée s'élever au-dessus de la vallée. Elle s'approcha et vit, assise devant une jolie petite maison, une vieille femme aveugle. Elle avait des nattes grises, mais ses lèvres étaient d'un rouge éclatant et ses dents brillaient comme des diamants. Plus étonnant encore, elle avait deux visages, l'un devant et l'autre derrière. « C'est sûrement une sorcière », pensa la jeune fille.
Néanmoins, elle la salua très poliment et s'enquit de sa santé. « Je me porte bien, merci, répondit la sorcière. Seuls mes yeux ne voient plus comme avant. C'est pourquoi je cherche une servante. Ne voudrais-tu pas travailler pour moi? Tu auras un bon salaire et à manger autant que tu voudras.
— Pourquoi pas, répondit la jeune fille en se disant: "Je serai bien ici et les yeux aveugles ne verront pas ma laideur. " »
La jeune fille laide travailla donc chez la sorcière et s'en trouva bien. Tous les jours, elle ajoutait une pièce d'or dans un petit coffret et elle mangeait à satiété. La sorcière lui avait même donné une jolie robe. La jeune fille la méritait bien, car elle servait sa maîtresse loyalement, ne profitant pas du fait que la vieille femme était aveugle. Elle balayait la poussière et raccommodait le linge avec de tout petits points. Le temps passa et une année s'écoula.
« Ton service chez moi se termine, dit un jour la sorcière à la jeune fille. Tu peux à présent rentrer chez toi.
— Oh non! s'écria-t-elle. Je veux rester ici. Toi, tu ne vois pas la laideur de mon visage, tu ne connais que le son de ma voix et le travail de mes mains. Mais les autres se moquent de moi. Je ne veux plus jamais les revoir!
— Tu as un visage ingrat, mais un cœur en or, répondit la sorcière. Mes yeux paraissent aveugles, mais ils voient beaucoup mieux que ceux des autres. N'as-tu pas remarqué que j'en ai quatre? Quand deux dorment, les deux autres restent éveillés. Je connais ton visage depuis le jour où tu es arrivée et, en vérité, il m'importe peu qu'il soit beau ou laid. Mais cela semble vital pour toi et c'est pourquoi j'ai décidé de t'aider. À présent, entre dans la maison et touche le miroir qui est contre le mur. »
La jeune fille fit comme la vieille femme lui avait dit. La tête baissée – pour éviter de voir son visage – elle tendit la main vers le miroir. Soudain, celui-ci s'ouvrit comme une porte, et derrière lui une autre pièce apparut. Sur les murs, il y avait des centaines de visages! « Vas-y, choisis celui qui te plaît! » commanda la sorcière. La jeune fille, émerveillée, regarda attentivement tous ces innombrables visages, et finit par en choisir un, gentil et souriant, avec de grands yeux. Dès qu'elle l'eut désigné, la sorcière prit le visage de la jeune fille dans ses mains et le suspendit au mur. Puis elle posa sur sa tête le nouveau visage. Comme elle était belle à présent! « Rentre chez toi et vis en paix! » lui dit la sorcière. Puis elle tendit à la jeune fille son coffret en clamant: « Double est ma face, que double soit ton contenu! » Aussitôt dit, aussitôt fait, le coffret fut immédiatement rempli de pièces d'or. La jeune fille remercia la sorcière et lui fit ses adieux. Puis elle rentra chez elle en courant. Elle était heureuse, belle et riche, que demander de plus!
Sa sœur aînée n'arriva pas à en croire ses yeux; elle ne reconnut sa cadette qu'au son de sa voix. Mais ce changement ne lui plut guère, car la laide était maintenant plus belle qu'elle. « Moi aussi, j'irai dans la montagne », se dit-elle quand elle eut appris comment sa sœur avait réussi. Si la sorcière avait su rendre si beau le visage si laid de sa sœur, le sien, déjà si gracieux, deviendrait le plus beau du monde. Puis, sans tarder, la sœur aînée prit la route. Elle marcha toute la journée et commençait à être fatiguée lorsqu'elle vit un filet de fumée s'élever au-dessus de la vallée. Elle s'y dirigea et arriva près d'une jolie maisonnette devant laquelle était assise une vieille femme aveugle. Elle avait des nattes grises, mais ses lèvres étaient d'un rouge éclatant et ses dents brillaient comme des diamants. Plus étonnant encore, elle avait deux visages, l'un devant et l'autre derrière.
« C'est la sorcière! » pensa la jeune fille. Elle fit une grimace désobligeante – puisque la vieille femme ne voyait rien – puis, d'une voix mielleuse, elle s'enquit de sa santé. Et la sorcière la prit à son service, tout comme sa sœur.
La belle jeune fille fit semblant de travailler. Tantôt elle faisait un peu de bruit en remuant quelques objets, tantôt elle donnait de petits coups de balai, mais elle passait le plus clair de son temps devant la glace à s'admirer. La poussière s'accumula bientôt dans tous les coins de la maisonnette et le linge fut raccommodé très grossièrement. Néanmoins, tous les jours, la jeune fille mangeait à volonté et elle recevait également une pièce d'or, qu'elle rangeait dans son coffret. Ainsi, une année passa.
« Ton service chez moi touche à sa fin, dit un jour la sorcière. À présent, tu peux rentrer chez toi.
— Oh non! objecta la jeune fille. Je ne veux rentrer qu'avec un nouveau visage!
— C'est ce que tu veux? Entre donc dans la maison et touche le miroir », répondit la sorcière.
La jeune fille se dépêcha de rentrer, tendit la main, et le miroir s'ouvrit comme une porte. Derrière lui, il y avait une autre pièce où d'innombrables visages étaient accrochés aux murs. « Ferme les yeux et ne les ouvre pas avant que je ne te le dise », ordonna la sorcière. Puis elle prit la tête de la jeune fille dans ses mains, ôta son joli visage et le suspendit au mur. Elle posa ensuite sur la tête de la jeune fille le visage de sa sœur cadette.
Puis elle lui tendit son petit coffret, après y avoir jeté de la poussière ramassée dans un coin de la pièce et avoir dit: « Double est ma face, que double soit ton contenu! » Elle conduisit ensuite la jeune fille devant la maison et lui dit: « Tu peux ouvrir les yeux à présent et rentrer chez toi. »
La jeune fille ne dit ni au revoir ni merci et descendit la colline en courant, pressée qu'elle était de rentrer au village. Vous pouvez aisément imaginer ce qu'elle ressentit quand elle se vit dans un miroir et qu'elle entendit les quolibets des voisins. Lorsqu'elle ouvrit le coffret, un nuage de poussière s'en échappa et se déposa sur ses cheveux. Elle ne réussit plus jamais à les démêler… Elle fut si honteuse que, très vite, elle quitta le village. Personne ne sut où ses jambes l'avaient guidée, et plus jamais dans la région on n'entendit parler d'elle. Sa sœur cadette épousa un homme beau et aimable, et ils vécurent heureux et en paix. Certes, le beau visage de la jeune femme allait vieillir un jour, mais « un cœur bon le reste toute une vie ».