Le pigeon, le loup et la cigogne
Sur la plus haute branche d’un arbre, il y avait un nid et dans ce nid vivaient une pigeonne et ses pigeonneaux. Un jour, un loup à l’estomac vide et à la langue pendante remarqua le nid de la mère pigeon et sa couvée. Cela lui mit l’eau à la bouche et de sa grosse voix il dit :
- Tante pigeonne, j’ai très, très faim ! Offre-moi vite un de tes petits enfants sinon tu goûteras ma furie. J’hurlerai, je gronderai, je mugirai et je soufflerai sur ton arbre, il se cassera et toi et tes petits je vous mangerai sans vous déplumer d’une seule bouchée.
Terrifiée, la pigeonne tremblait de tout son corps. Paniquée, elle sacrifia un de ses pigeonneaux pour protéger ses autres enfants. D’une bouchée, le loup l’avala, il se pourlécha les babines et se dit qu’il avait trouvé là un délicieux garde-manger.
Le lendemain, il revint au pied de l’arbre et de sa terrible voix dit :
- Tante pigeonne, j’ai encore très, très faim ! Offre-moi vite un de tes petits, sinon tu goûteras à ma furie. J’hurlerai, je gronderai, je mugirai et je soufflerai sur ton arbre, il se cassera et toi et tes petits je vous mangerai d’une seule bouchée.
Glacée d’effroi, elle se résolut, les larmes au cœur, à sacrifier un autre pigeonneau. Sans pitié, d’une bouchée, le loup l’avala. Il se pourlécha les babines et se dit qu’il avait trouvé là un délicieux garde-manger.
La pauvre maman ne savait plus que faire. Les larmes aux yeux, désemparée, elle quitta son nid et se posa au milieu d’un champ. Ses larmes coulaient abondamment sur son jabot, la pauvre pigeonne se lamentait toujours et encore sur son sort. Une cigogne survola le champ et entendit la complainte de l’oiseau. Curieuse et intriguée, elle se posa près de la mère pigeonne.
- Pauvre cousine, quelle est donc la raison de cette grande tristesse ?
- Un grand malheur s’est abattu sur ma famille. Tous les jours le loup nous menace moi et mes enfants. De sa méchante voix il me dit :
- Tante pigeonne, j’ai encore très, très faim ! Offre-moi vite un de tes petits sinon tu goûteras à ma furie. J’hurlerai, je gronderai, je mugirai et je soufflerai sur ton arbre, il se cassera et toi et tes petits je vous mangerai d’une seule bouchée. À chaque fois j’ai obéi et j’ai sacrifié un de mes petits. Il ne m’en reste pas beaucoup.
La cigogne éclata de rire et lui dit :
- Idiote que tu es ! A-t-on déjà vu un loup souffler un arbre ? A-t-on déjà vu un loup casser un arbre ? A-t-on déjà vu un loup grimper à un arbre ? Non ! Alors écoute mon conseil. Quand il reviendra dis-lui qu’il peut hurler, gronder, mugir, souffler tant qu’il le voudra, surtout ne fais rien. Tout ce que je viens de te dire est un secret. Ne lui dis rien.
Le jour suivant, le loup revint au pied de l’arbre et entonna son refrain :
- Tante pigeonne, j’ai toujours très faim ! Offre-moi vite un de tes petits, sinon tu goûteras à ma furie. J’hurlerai, je gronderai, je mugirai et je soufflerai sur ton arbre, il se cassera et toi et tes petits je vous mangerai d’une seule bouchée.
La pigeonne prit tout son courage, gonfla son jabot et d’un air moqueur lui répondit :
- Pauvre loup ! Tu peux hurler, gronder, mugir et souffler autant que tu le voudras, tu n’auras rien ! Tu veux mes petits, grimpe sur cet arbre si tu le peux !
- Houps !
Le loup n’en croyait pas ses oreilles.
- Dis-moi qui t’as dit de me répondre comme ça ?
- Ma cousine la cigogne m’a fait jurer de ne rien dire !
- La Cigogne !
Le loup était affamé. Il s’allongea sous l’arbre. Il avait la langue qui pendait et de la mousse lui sortait par les trous de nez. Quand il retrouva un peu de force, il décida de s’occuper de la maudite cigogne. Au bord du champ, il y avait une plaque de ciment. Sur cette plaque, il vomit toute l’écume qu’il lui restait encore dans son estomac. De loin il aperçut la cigogne qui l’observait. Il l’appela.
- Cigogne, chère cigogne ! Que je suis heureux de te revoir, cela faisait si longtemps ! Je suis tellement en joie que je t’offre ce repas.
Méfiante, la cigogne s’approcha de quelques pas.
- Allez ! Approche, regarde ce bon repas ! Il est pour toi !
N’ayant plus aucune crainte, elle s’avança encore de quelques pas, allongea son long coup et picora les vomissures et tout ce que le loup avait régurgité. Elle se régalait.
Soudain le loup se jeta sur la cigogne, l’attrapa, la coinça entre ses grosses pattes et de sa méchante voix lui dit :
- Cigogne trop bavarde ! Tu vas payer pour tes mauvais conseils. À cause de toi la pigeonne ne m’offre plus ses petits. J’avais trouvé là un délicieux garde-manger. Maintenant c’est toi qui va le remplacer. Je vais te déplumer et te dévorer !
- Me manger ! Mais regarde-moi ! Je n’ai que de la peau sur les os. En revanche je connais un endroit où la nourriture coule en abondance. Si tu montais sur mon dos, je t’y emmènerai. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le loup grimpa sur le dos de la cigogne et tous deux s’envolèrent très haut dans les cieux.
La cigogne interrogea le loup :
- Que vois-tu en dessous?
- En dessous ! Je vois un immense champ de blé.
La cigogne, de quelques battements d’ailes, vola encore plus haut.
- Et loup que vois-tu maintenant ?
- La terre est devenue comme un tapis !
La cigogne vola encore plus haut. Elle avait atteint le firmament du ciel.
- Et maintenant ?
- Houuu la la ! J’ai le vertige.
- Mais que vois-tu ?
- Un plat de tagine !
- Nous avons trouvé le plat ! Il nous reste à trouver la nourriture, lui répondit la cigogne.
- Et maintenant qu’aperçois-tu tout en bas ?
- Je vois une petite lentille bleue.
Elle était arrivée au-dessus de l’océan, de son regard perçant elle apercevait l’écume blanche des vagues. La mer était déchainée. Mais le loup n’entendait rien et ne voyait rien.
- Vois-tu sur cette petite lentille, il y a de la belle mousse blanche ? C’est une crème délicieuse qui coule sans fin, lui dit la cigogne.
Le loup en avait l’eau à la bouche. La cigogne lui dit :
- Nous allons descendre ! Desserre tes pattes autour de mon cou et je me poserai.
À peine le loup desserra-t-il son étreinte que la cigogne se retourna, vola sur le dos. Le loup tomba. Dans un hurlement sans fin, il tombait, tombait, tombait. Du haut du ciel, elle vit le pauvre animal qui se débattait dans une mer déchainée. Il disparut.
De retour sur la terre ferme, la cigogne, fâchée, retourna voir la pigeonne et la questionna.
- Ingrate ! Pourquoi n’as-tu pas gardé notre secret ? À cause de toi j’ai failli être mangée moi aussi !
Toute honteuse, le regard baissé, la pigeonne lui répondit d’une petite voix :
- Mille excuses ma cousine. Quoi que je fasse, devant le loup je perds tous mes moyens. Je n’ai pas pu me retenir de lui dire la vérité. Ne me confie plus de secret.
- La vérité est que tu me fais pitié. Et je n’aurai plus confiance en toi.
La cigogne s’envola et oublia vite cette histoire. Quant à la pigeonne, une fois que ses petits volèrent de leurs propres ailes, elle raconta cette terrible histoire à toutes ses amies.
J’étais allongé sous un arbre, je l’ai écoutée moi, et puis j’ai marché jusqu’ici juste pour vous la raconter.