Le pari de Ti Jean


Le pari de Ti Jean




Le jour de sa naissance, Ti Jean saute du ventre de sa mère, se pose à terre sur ses petites jambes courbées de nouveau-né et s'en va vivre sa vie. Après quelques jours de marche, il s'arrête devant une pancarte sur laquelle était écrit: « Moi, Grandyab, je ne me fâche jamais ».
Il pénètre dans le domaine de Grandyab, ce que l'on appelle dans le langage courant son "Habitation", le salue et lui propose de s'occuper de ses bêtes et de son jardin. Grandyab se tord de rire en considérant la petitesse de l'être humain qui lui propose ses services, puis tombe sur lui à bras raccourcis et le bat tant et si bien qu'il en a mal au poignet. Ti Jean, lui, ne crie ni ne fait une grimace de douleur. Il se contente de sucer son pouce, indifférent.
Grandyab, décide alors de l'engager car il lui semble particulièrement courageux.
- Merci monsieur Grandyab, dit Ti Jean, j'accepte vos conditions sans les connaître, mais de mon côté je vous propose un pari: si je réussis à vous mettre en colère, vous me donnerez toute votre fortune y compris votre femme que l'on dit très jolie. Dans le cas contraire, dans quinze jours, vous me mangerez.
- J'accepte, dit Grandyab. Commence par nettoyer mon jardin qui est envahi de mauvaises herbes. Dix hommes courageux n'arriveraient pas à le faire en une journée. Si en fin de journée tu n'as pas terminé, tu n'auras rien à manger.
À la brume du soir, Grandyab se rend au jardin et constate que Ti Jean a arraché toutes les plantes cultivées et a laissé les mauvaises herbes. Il se garde de se fâcher pour ne pas perdre son pari.
- Demain, tu soigneras les bêtes et nettoieras l'écurie, le poulailler et le parc à bestiaux. Et cela en une journée, sinon rien à manger.
Ti Jean tue toutes les bêtes et, à la brume du soir, Grandyab est bien forcé de garder le sourire pour ne pas perdre son pari.
Pour se débarrasser de celui qui va le ruiner, il demande à sa mère, Lagrandyabless, de prendre la voix du Bondieu, de grimper dans un arbre et d'ordonner à Ti Jean de retourner chez ses parents sans tarder. Lorsque Ti Jean passe sous l'arbre, il reconnaît la voix de la Grandyabless et l'abat d'un coup de fusil. La vieille tombe de l'arbre comme une mangue mûre.
- Tu as tué ma mère, s'écrie Grandyab en s'arrachant les cheveux de douleur.
- Non répond Ti Jean, c'est le Bondieu que j'ai tué.
Grandyab avale la pilule et toujours pour faire semblant de ne pas se fâcher il propose à Ti Jean d'accompagner sa femme au bal. Ti Jean met son habit de soirée, son haut de forme, ses souliers cirés. Il danse, courtise et séduit Madame Grandyab qui ne fait que minauder, sourire et roucouler.
À minuit, prétextant, comme Cendrillon, qu'il a perdu son soulier, il interrompt la soirée au grand dam de sa cavalière et quitte le bal. Sur le chemin du retour un énorme crabe, qui lui semble avoir la voix de sa propre mère, le menace et lui ordonne de rentrer chez ses parents. Il hurle de terreur, prend ses jambes à son cou et avoue à Grandyab qu'il n'a jamais eu autant peur devant cet énorme crabe qui parlait comme un chrétien vivant.
- Quoi! Tu n'as pas eu peur de moi et tu as peur d'un crabe, s'écrie Grandyab fou de rage. Tiens, deux paires de claques!
- J'ai gagné le pari, tu t'es mis en colère, ta fortune est à moi, mais garde ta femme, je n'en veux pas, elle n'est pas fut' fut'.
Depuis que Grandyab a perdu tous ses sous, il erre sur les routes où il ne fait pas bon le rencontrer car il ne décolère pas. Il se venge de sa déconvenue sur sa femme et sur les voyageurs sans défense.




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