Tome N°8 - Chapitre 14 : - HISTOIRE DU ROI ILANSCHAH ET D’ABOUTEMAN - (Mille et une nuits)



HISTOIRE DU ROI ILANSCHAH ET D’ABOUTEMAN







« Aboutemam joignait à de grands biens beaucoup de sagesse, de prudence, de grandeur d’âme et de générosité ; mais le pays qu’il habitait était gouverné par un monarque injuste et avare, qui n’avait aucun respect pour les lois, disposait à son gré de la fortune et de la vie de ses sujets. Craignant que le roi ne s’emparât de ses richesses, Aboutemam n’osait en faire usage. Cette contrainte lui déplut : il résolut de chercher une autre patrie, et de se retirer dans un pays où il pût jouir librement de ses biens, et mener un genre de vie conforme à son humeur noble et généreuse.
» Ilanschah passait pour un roi sage et équitable. Aboutemam choisit la capitale de ses états pour le lieu de sa demeure. Il y fit bâtir un palais, y transporta secrètement ses richesses, et vint y fixer son séjour. Il se meubla avec magnificence, acheta un grand nombre de chevaux et d’esclaves, et fit une dépense proportionnée à sa fortune.
» Le roi Ilanschah entendit bientôt parler d’Aboutemam ; il le fit venir, et lui dit : « Je sais que vous vous êtes fixé depuis peu dans ma capitale. Je suis bien aise de pouvoir vous compter au nombre de mes sujets. Regardez ce pays comme le vôtre ; vous y trouverez la protection et la considération que vous méritez. Je désire même faire connaissance avec vous, et je veux que vous veniez me voir assidûment. »
« Prince, répondit Aboutemam, ma personne et mes biens sont à votre service ; mais accoutumé à la retraite et à la vie privée, je pourrais paraître étranger à la cour, déplaire à plusieurs de ceux qui vous entourent, me faire des ennemis, et exciter contre moi la jalousie. » Le roi ne voulut pas recevoir les excuses d’Aboutemam, et l’assura qu’auprès de sa personne il n’avait rien à craindre des méchants et des envieux.
» Aboutemam, forcé d’obéir au roi, venait tous les jours lui faire sa cour, et lui offrait de temps en temps des présents. Le roi ne tarda pas à reconnoître son mérite et sa prudence : il le prit en affection, et lui confia le soin de sa maison et des affaires de son royaume. Dès-lors tout se trouva dans la dépendance d’Aboutemam ; le roi ne prenait conseil que de lui ; rien ne se faisait que par lui : il ordonnait et défendait, liait et déliait avec une puissance absolue.
» Le roi avait eu auparavant trois visirs qui ne s’éloignaient pas de sa personne ni jour ni nuit. Écartés entièrement du gouvernement depuis l’élévation d’Aboutemam, ils avoient conçu contre lui la jalousie la plus violente, et disaient souvent entr’eux : « Le roi nous a ôté sa confiance pour la donner à cet étranger. Il le comble d’honneurs, n’a d’estime que pour lui, et dédaigne nos services. Nous ne devons pas souffrir plus long-temps un tel affront, et il faut absolument inventer quelque ruse pour perdre ce nouveau favori, ou l’éloigner d’auprès du roi. »
» Un jour qu’ils délibéraient sur cela, un d’eux dit aux autres : « Vous savez que le roi du Turquestan a une fille qui passe pour la plus belle personne du monde, et qu’il fait mourir tout ceux qui sont envoyés pour la demander en mariage ; parlons au roi de cette princesse, vantons-lui sa beauté, et tâchons de lui inspirer le désir de l’épouser. Il voudra savoir de nous qui il doit envoyer auprès du roi du Turquestan pour lui demander la main de sa fille. Nous lui conseillerons de charger de cette demande Aboutemam. Le roi du Turquestan le fera mourir comme les autres, et nous reprendrons auprès d’Ilanschah le rang et la faveur dont nous jouissions autrefois. »
» Les visirs approuvèrent cette idée, et convinrent de se trouver ensemble le lendemain auprès du roi. Ils firent tomber adroitement la conversation sur les femmes, parlèrent de la fille du roi du Turquestan, et firent à l’envi l’éloge de sa beauté. Ilanschah, enchanté du portrait qu’ils lui tracèrent de cette princesse, leur dit qu’il désirait l’épouser, et leur demanda qui il pourrait envoyer à la cour du roi son père pour faire réussir cette affaire ? Les visirs se tournant du côté d’Aboutemam, qui était présent, conseillèrent au roi de le charger de cette commission, ajoutant que sa prudence et son habileté en garantissaient d’avance le succès.
» Le roi trouva qu’ils avoient raison ; et s’adressant à Aboutemam : « Va, lui dit-il, à la cour du roi du Turquestan, et fais-lui, en mon nom, la demande de la princesse sa fille. Prends une suite nombreuse, et emporte avec toi des présents pour le roi, la princesse et toute la cour. Ilanschah fit aussitôt revêtir Aboutemam d’une robe du plus grand prix, et le congédia. Aboutemani, empressé d’obéir à son maître, fit promptement les préparatifs de son voyage, et se mit en chemin. »
» Le roi du Turquestan, informé de l’arrivée d’un ambassadeur de la part du roi Ilanschah, envoya au-devant de lui plusieurs de ses principaux officiers, et fit préparer un superbe palais pour lui et pour sa suite. Il le reçut avec la plus grande distinction, le fit manger à sa table, lui donna des fêtes, et lui procura toutes sortes de divertissements pendant trois jours. Au bout de ce temps, il le fit venir en sa présence pour apprendre le sujet de son ambassade.
» Aboutemam se présenta à l’audience du roi du Turquestan avec toutes les marques du plus profond respect, lui remit la lettre du roi Ilanschah, et lui offrit les présents dont il était chargé. Le monarque du Turquestan ayant lu la lettre, dit à l’ambassadeur de se rendre à l’appartement de la princesse, afin de la voir et de s’entretenir avec elle. Aboutemam, surpris de ce discours, pensa sur-le-champ qu’on voulait mettre à l’épreuve sa discrétion, sa délicatesse et son respect pour la fille d’un grand monarque. Il se rappela ce que disent les sages : « Celui qui sait réprimer ses regards, garder sa langue et retenir ses mains, est à l’abri de tout danger. » Il résolut de se conduire d’une manière qui non-seulement ne l’exposât à aucun reproche, mais qui pût même flatter l’orgueil du souverain.
» La princesse, prévenue de la visite de l’ambassadeur, l’attendait dans le plus magnifique habillement. Elle était assise sur un trône éclatant et couverte de bijoux d’or, de perles et de pierreries.
» Aboutemam, ayant été introduit, se prosterna loin du trône, et se releva ensuite en tenant les yeux baissés, et les mains croisées sur sa poitrine. La princesse lui dit de lever la tête et de lui parler ; mais il n’en fit rien. Elle lui répéta une seconde fois la même chose, ajoutant qu’on ne l’avait envoyé auprès d’elle que pour la voir et lui parler librement. Aboutemam ne répondît pas davantage. « Prenez, lui dit la princesse, ces vases d’or et d’argent, ces curiosités qui sont à côté de vous. Ils sont destinés pour vous, et je vous en fais présent. » Aboutemam ne fit pas le moindre mouvement. La princesse alors outrée de dépit, s’écria qu’on lui avait envoyé un ambassadeur aveugle, sourd et muet. Elle donna ordre qu’on le fît retirer, et envoya témoigner son mécontentement au roi son père.
» Le roi du Turquestan fit venir aussitôt Aboutemam, et lui dit : « Vous venez de voir ma fille ; comment la trouvez-vous ? » « Prince, répondit Aboutemam, je n’ai pas osé lever les yeux sur la fille d’un aussi grand monarque. » « Vous lui avez sans doute, reprit le roi, demandé sa main pour le roi votre maître ? » « Prince, répondit Aboutemam, je me serois bien gardé de faire cette demande à votre fille : je ne me suis pas permis de lui dire un mot. » « Vous avez au moins, ajouta le roi, pris les vases d’or et d’argent que je vous destinais ? « « Je n’ai rien reçu, répondit Aboutemam. »
» Le roi, satisfait de la réserve et de la circonspection d’Aboutemam, se fit apporter une robe d’honneur, et l’en revêtit. Il le mena ensuite hors de la salle, lui montra un puits, et lui dit de regarder dedans. Aboutemam s’avança, et vit que le puits était rempli de têtes d’hommes.
« Ce sont, lui dit le roi, les têtes de ceux qui m’ont été envoyés avant vous pour me demander ma fille. Elles sont au nombre de quatre-vingt-dix-neuf ; la vôtre eût fait la centième, si vous vous étiez conduit avec moins de délicatesse. Les autres envoyés ont manqué au respect qu’ils devaient, non-seulement à moi et à ma fille, mais à leur maître. J’ai jugé par leur caractère, de celui de leurs souverains. Un envoyé est la langue de celui qui l’envoie, et sa politesse annonce celle de son maître. N’ayant donc conçu qu’une mauvaise idée de tous ces rois, je n’ai pas voulu les prendre pour gendres, et j’ai puni, comme je le devais, la témérité et l’imprudence de leurs indignes émissaires. Pour vous, vous avez su vous concilier mon estime, et vous avez mérité d’obtenir ma fille. Je la donne au roi votre maître, en considération de votre sagesse et de votre prudence. »
» Le roi fit remettre à Aboutemam de grands présents pour Ilanschah. Il le chargea d’une lettre, par laquelle il accordait au prince la main de sa fille, et le félicitait sur le choix qu’il avait fait de son ambassadeur.
» Ilanschah fut au comble de la joie en voyant arriver la princesse du Turquestan. Sa beauté surpassait l’idée qu’il s’en était formée ; et les qualités de l’esprit, la grâce, la douceur qu’elle unissait à ses attraits, en faisaient une personne accomplie. Ilanschah sentit tout le prix d’un si rare trésor. Persuadé qu’il devait son bonheur à Aboutemam, il lui témoigna sa satisfaction dans les termes les plus flatteurs. Les éloges contenus dans la lettre du roi son beau-père, augmentèrent encore l’estime et l’attachement qu’il avait pour lui.
« Les visirs, plus jaloux que jamais, et piqués de voir que ce qu’ils avoient imaginé pour se débarrasser d’Aboutemam n’avait fait qu’augmenter sa faveur et la confiance que le roi avait en lui, cherchèrent un autre moyen de le faire périr.
» Le roi avait deux jeunes pages qu’il aimait beaucoup, et qui ne s’éloignaient presque jamais de sa personne. Ils couchaient la nuit près de lui, et se tenaient à ses côtés quand il prenait, l’après-midi, quelque repos. Les visirs les ayant un jour trouvés seuls, les tirèrent à l’écart, et leur proposèrent de leur donner à chacun une bourse de mille sequins, s’ils voulaient leur rendre un service. Ces enfants ayant demandé avec empressement quel était ce service, un des visirs leur dit :
« Aboutemam nous a fait perdre la confiance du roi : nous voudrions l’éloigner de la cour. Quand vous serez seuls avec le roi dans sa chambre, et que vous le verrez s’appuyer pour dormir, l’un de vous dira à l’autre :
« Il faut qu’Aboutemam soit bien méchant pour traiter ainsi le roi, qui l’a comblé de biens et de faveurs. » « Quelle est donc sa méchanceté dira l’autre ? » « Il attaque l’honneur du roi, dira le premier : il prétend que le roi du Turquestan faisait mourir tous ceux qui venaient lui demander sa fille ; qu’il n’a été épargné, que parce qu’il a eu le bonheur de plaire à la princesse, et qu’elle n’est venue ici que pour l’amour de lui, et non par amour pour le roi. » « Es-tu sûr de cela, dira le second ? » « Si j’en suis sûr, dira le premier : tout le monde le sait ; mais on n’ose en parler au roi. Toutes les fois que le roi est à la chasse ou eu voyage, Aboutemam va trouver la reine, et reste seul avec elle. »
» Les deux petits pages ne demandèrent pas mieux que de dire ce que voulaient les visirs. On leur fit répéter plusieurs fois leur petite conversation, et on leur recommanda de profiter du premier moment où ils seraient seuls avec le roi. L’après-midi le roi s’étant retiré dans sa chambre, et jeté sur son sofa pour se reposer, les enfants s’approchèrent de lui, et entamèrent leur dialogue. Le commencement piqua la curiosité du roi, qui n’eut garde de les interrompre, et fit semblant de dormir.
» Le dialogue fini, le roi réfléchit sur ce qu’il venait d’entendre. La jeunesse des enfants, leur innocence ne permettoit pas de soupçonner leur bonne foi. Ils ne pouvaient être d’intelligence avec personne, et ils ne répétaient que ce qu’ils avoient entendu par hasard. Ces réflexions persuadèrent au roi que son favori était coupable, et enflammèrent sa colère. Il se leva du sofa, feignant de se réveiller, et ordonna qu’on allât chercher sur-le-champ Aboutemam.
« Comment, lui dit-il dès qu’il l’aperçut, faut-il traiter celui qui ne respecte pas la femme d’un autre ? » « Il mérite, répondit Aboutemam, qu’on ne respecte pas la sienne. » « Mais, reprit le roi, celui qui entre dans le palais de son souverain et attente à son honneur dans la personne de son épouse, quelle doit être sa punition ? » « La mort, répondit Aboutemam. » « Traître, s’écria le roi, tu viens de prononcer ton arrêt ! » À l’instant il tira son poignard, le plongea dans le cœur d’Aboutemam, et l’étendit mort à ses pieds. On enleva son corps, et on le jeta dans un puits destiné à cet usage.
» L’amour du roi pour son épouse l’empêcha de lui parler de l’intelligence qu’il croyait avoir découverte entr’elle et Aboutemam ; mais il en conçut un violent chagrin. Elle ne tarda pas à s’apercevoir de sa tristesse, et lui en demanda souvent la cause : jamais il ne voulut la lui découvrir. Il était pareillement affligé d’avoir perdu son premier visir, et ne pouvait s’empêcher de regretter un homme qui lui avait rendu de si grands services, et pour qui il avait eu tant d’attachement et de confiance.
» Un jour en entrant dans sa chambre, il entendit ses pages parler, faire du bruit dans un cabinet voisin. Il s’approche doucement et prête l’oreille.
« À quoi nous sert cet or, disait l’un : nous ne pouvons le dépenser, ni rien acheter avec ? » « Il m’est odieux, disait l’autre : il nous a fait commettre une mauvaise action ; car nous sommes cause de la mort d’Aboutemam. Si j’avais su que le roi dût le faire ainsi périr, je n’aurois pas dit du mal de lui. Mais c’est la faute de ces méchants visirs qui nous ont fait dire ce qu’ils ont voulu. »
« Le roi ayant entendu ces discours, ouvrit la porte du cabinet, et trouva les pages qui jouaient avec des pièces d’or. « Malheureux, leur dit-il, qu’avez-vous fait, et d’où vous vient tout cet or ? » Les enfants effrayés se jetèrent à genoux, et demandèrent grâce. « Je vous ferai grâce, leur dit le roi, si vous me dites la vérité ; mais elle seule peut vous sauver des effets de ma colère. »
» Ces enfants racontèrent avec naïveté tout ce qui s’était passé entr’eux et les visirs, Ilanschah se repentit alors d’avoir cru si facilement son favori coupable, et de l’avoir immolé avec tant de précipitation ; et dans un premier mouvement de colère, il déchira ses habits, se meurtrit le visage, s’arracha la barbe, et s’abandonna au plus violent désespoir.
« Hélas, s’écriait-il, j’ai immolé mon meilleur ami ! Aboutemam vouloit se tenir éloigné de ma cour. Je l’engageai à s’attacher à moi, en l’assurant que jamais je ne prêterais l’oreille a la calomnie ; qu’il n’avait rien à craindre auprès de moi, et c’est moi-même qui l’ai frappé ! Cruelle destinée ! Je ne puis plus maintenant que venger sa mémoire, et faire justice de ses ennemis. »
» Ilanschah manda aussitôt les trois visirs, leur reprocha leur scélératesse, et leur fit couper la tête en sa présence. Il se rendit ensuite chez son épouse, lui avoua qu’il avait été d’abord trompé, et lui raconta la manière dont il avait reconnu son innocence et celle d’Aboutemam. La reine fit alors éclater le chagrin que lui avait causé la fin malheureuse du premier visir. Les deux époux pleurèrent ensemble la mort de celui qui était cause de leur union. Ils donnèrent ordre qu’on retirât son corps du puits dans lequel il avait été jeté, célébrèrent publiquement ses funérailles, et lui firent bâtir, au milieu du palais, un tombeau sur lequel ils allaient souvent répandre des larmes.
» C’est ainsi, ô Roi, continua le jeune homme, qu’Aboutemam fut victime de l’envie, et que ses ennemis portèrent ensuite la peine de leur crime. J’espère que Dieu me fera pareillement triompher des envieux que me suscite la faveur dont vous m’avez honoré, et qu’il vous fera connaître mon innocence. Je ne crains pas de perdre la vie ; mais je crains qu’un repentir inutile ne s’élève dans le cœur du roi et ne le tourmente. L’acharnement de vos visirs contre moi, le désir qu’ils montraient tout-à-l’heure de verser eux-mêmes mon sang, décèlent assez la passion qui les anime. Mon assurance et ma tranquillité au contraire vous montrent mon innocence. Si j’étais coupable, les reproches de ma conscience enchaîneraient ma langue, et troubleraient mon esprit. »
Azadbakht, vivement touché de ce qu’il venait d’entendre, oublia les conseils de ses visirs, et ne put se résoudre à faire périr encore le jeune ministre. « Qu’on le reconduise en prison, dit-il aux soldats. Demain j’examinerai de nouveau cette affaire, et rien désormais ne pourra le soustraire à la mort. »

Les visirs s’étant assemblés le lendemain, se disaient les uns aux autres : « Ce jeune homme rend inutiles tous nos efforts pour le perdre. En vain nous allumons contre lui la colère du roi : il vient toujours à bout de l’apaiser par la magie de ses discours. Cherchons encore un nouveau moyen de hâter son supplice ; car tant qu’il respire nous ne serons pas en sûreté, et nous ne pourrons goûter aucun repos. »
Les visirs, après avoir long-temps délibéré, convinrent d’engager la reine à demander elle-même la punition du jeune homme. Ils allèrent la trouver, et l’un d’eux lui dit :
« Vous ignorez, Madame, ce qui se passe autour de vous, et l’injure qu’on fait à votre réputation. Malgré votre rang, votre puissance, l’éclat et la grandeur qui vous entourent, la calomnie s’attache à votre personne, et vous êtes l’objet de la satire publique. Des femmes parcourent les rues en jouant du tambourin, et mêlent votre nom dans leurs chansons. On dit que vous aimez le jeune ministre, et que vous empêchez le roi de le punir. Ces discours passent de bouche en bouche, et ne cesseront de se répandre de plus en plus tant que ce jeune homme vivra. »
« Ces discours m’offensent vivement, dit la reine, et je veux les faire cesser. Je suis intéressée, je le vois, à hâter la mort de ce jeune homme ; mais que faut-il faire pour cela ? »
« Madame, lui dit un des visirs, il faut aller trouver le roi, vous jeter à ses pieds, lui dire que vous avez appris par vos femmes les bruits qui se répandent dans la ville, et que vous ne pouvez vivre plus long-temps, si ce jeune homme n’est exécuté sur-le-champ. »
La reine, entraînée par cet artifice, se leva aussitôt, et se rendit chez le roi. Elle déchira ses habits devant lui, se jeta à ses pieds, et lui dit en pleurant : « Mon honneur n’est-il pas inséparable du vôtre, et peut-on attaquer ma réputation sans manquer au respect qui vous est dû ? Le crime de ce jeune homme est connu de toute la ville ; votre indulgence pour lui donne lieu à des bruits injurieux que je ne puis supporter plus long-temps. Ordonnez sa mort, ou faites-moi périr moi-même. »
Le discours de la reine produisit l’effet qu’en attendaient les visirs. Le roi lui témoigna qu’il partageait son ressentiment ; que ces bruits l’outrageaient autant qu’elle, et qu’il allait les faire cesser à l’instant. La reine s’étant retirée, on fit entrer le jeune homme.
« Malheureux, s’écrièrent les visirs en le voyant, tu voudrais en vain prolonger maintenant tes jours ! Ton heure est enfin venue, et la terre elle-même a soif de ton sang. «
« Vos discours, répondit le jeune homme, et votre rage jalouse ne peuvent hâter ma mort. L’instant en est irrévocablement fixé par la Providence ; rien ne saurait ni l’avancer ni le reculer : ce qui est écrit par le doigt de Dieu, ne peut manquer d’arriver, et tous nos efforts, toutes nos précautions ne peuvent nous en garantir. L’histoire du roi Ibrahim et de son fils en est une preuve évidente. »
Azadbakht voulut encore entendre cette histoire, et le jeune homme la raconta en ces termes :




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