Tome N°8 - Chapitre 12 : - HISTOIRE DU ROI KHADIDAN - (Mille et une nuits)



HISTOIRE DU ROI KHADIDAN







» Je montai sur le trône dans un âge fort jeune. Ébloui de ma gloire, et enivré de ma puissance, j’imaginais que tous mes voisins devaient se ranger sous mes lois. Un d’entr’eux se montra jaloux de conserver son indépendance ; je lui déclarai la guerre. Il n’avait qu’une poignée de monde à m’opposer : j’étais à la tête d’une armée nombreuse, et je croyais marcher à une victoire assurée. L’événement trompa cruellement mon attente. Contraint de prendre honteusement la fuite, je fus obligé d’abandonner mes états au vainqueur, et de me retirer dans des montagnes avec cinquante hommes qui n’avoient pas voulu m’abandonner.
» La Providence me fit rencontrer dans ces montagnes un derviche renfermé dans son hermitage, et entièrement occupé des exercices et des pratiques de la religion. Je fis connaissance avec lui, et je lui racontai mon malheur. « Je ne sais, lui disais-je en finissant, ce qui a pu causer ma défaite. Mon ennemi n’avait que huit cents hommes, et j’en avais huit cent mille. »
« Votre ennemi, me dit le saint personnage, mettait sa confiance en Dieu ; et vous, vous mettiez la vôtre dans le nombre de vos troupes : voilà pourquoi votre ennemi a été vainqueur, et que vous avez été défait. Reconnaissez votre faute, et mettez désormais votre espoir dans le secours du Tout-Puissant. »
» Ces paroles furent pour moi un trait de lumière. J’élevai mes regards en haut, et je gémis de l’orgueil et de la présomption qui m’avoient aveuglé jusque-là. Au bout de quelque temps, le bon derviche vint me trouver, et me dit : « Votre ennemi a cessé de placer sa confiance en Dieu ; l’orgueil s’est glissé dans son cœur ; il croit que c’est sa valeur qui l’a fait triompher : vous seul, vous pourriez aujourd’hui le mettre en déroute. »
« J’ajoutai foi au discours du derviche ; je rassemblai ma faible escorte à laquelle j’avais inspiré des sentiments pareils aux miens, et je marchai à la rencontre des ennemis. Nous fondîmes sur eux pendant la nuit, en poussant des cris épouvantables. Ils crurent que nous étions en grand nombre, et prirent la fuite.
» C’est ainsi que j’ai recouvré mes états par la toute-puissance de Dieu ; c’est en lui seul aujourd’hui que je mets mon espoir, et je ne manque pas d’implorer son assistance dans toutes les guerres que j’ai à soutenir. »

» Bakhtzeman, en entendant l’histoire du roi Khadidan, crut sortir d’un long assoupissement. « Gloire à Dieu, dont je reconnais maintenant la toute-puissance, s’écria-t-il ! Votre histoire, Sire, est précisément la mienne. Je vous ai caché mon nom et mes malheurs, mais le service que vous venez de me rendre, en dissipant mon aveuglement, m’arrache mon secret. Je suis le roi Bakhtzeman ; ma confiance dans mes propres forces, m’a fait perdre ma couronne, et a rendu inutiles les efforts que j’ai faits pour la recouvrer. Je veux profiter de votre exemple, et suivre désormais la route que vous avez suivie. »
» À ces mots, Bakhtzeman prit congé du roi Khadidan, et se retira dans une solitude pour y pleurer ses fautes, et s’appliquer uniquement aux exercices de la piété, et au service de Dieu. Une nuit qu’il dormait tranquillement, il vit en songe un vieillard qui lui tint ce discours :
« Dieu a exaucé tes prières : il est content de ton repentir ; il t’accordera son secours, et te fera triompher de ton ennemi. »
» Le roi Bakhtzeman, plein de confiance dans cette vision, prit le chemin de son royaume. Arrivé près de sa capitale, il rencontra quelques personnes attachées au service du nouveau roi, mais qui, malgré cela, regrettaient vivement son prédécesseur : elles virent bien qu’il venait d’un pays étranger, et lui conseillèrent de ne pas entrer dans la ville.
« Le nouveau monarque, lui dit l’une d’elles, a une telle frayeur du dernier roi Bakhtzeman, qu’il fait trancher la tête à tous les étrangers, dans la crainte qu’ils ne soient, ou le roi Bakhtzeman, ou quelque émissaire de sa part. » « Pourquoi craint-il Bakhtzeman, leur demanda le prince, assuré qu’il n’était pas reconnu ? C’est Dieu seul qu’on doit craindre : le mal et le bien ne viennent que de lui. »
« Vous avez raison, lui dit-on, mais le nouveau roi s’embarrasse peu des jugements de Dieu ; il se repose sur sa puissance, et sur les troupes qui l’entourent, et cherche il conserver par la tyrannie une autorité qu’il a usurpée par la violence. Il sait que tous les cœurs sont pour Bakhtzeman, et que s’il paraissait ici, cent mille bras se leveroient pour le remettre sur le trône. »
» Bakhtzeman, touché de l’attachement que conservaient pour lui ces officiers de l’usurpateur, crut devoir leur déclarer qui il était. Aussitôt ils descendirent de cheval, se prosternèrent devant lui, baisèrent ses étriers, et lui demandèrent comment il osait exposer ainsi sa vie ? « Je ne crains pas pour ma vie, leur répondit-il, Dieu saura, s’il veut, la conserver ; c’est en lui que je mets maintenant tout mon espoir. »
« Puisqu’il est ainsi, lui dirent-ils, vous devez triompher de l’usurpateur, qui ne met sa confiance que dans les hommes. Quant à nous, nous sommes prêts à tout tenter, et à verser pour vous jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Nous sommes les plus intimes confidents de l’usurpateur : nous allons vous faire entrer parmi nous dans la ville, et nous vous cacherons jusqu’à ce qu’il soit temps de vous montrer. »
» Bakhtzeman s’abandonna à la fidélité de ces officiers, et leur dit de faire tout ce que le ciel et leur dévouement leur inspirerait. Ils le firent entrer dans la ville, et le cachèrent dans la maison de l’un d’entr’eux. Ils assemblèrent ensuite les principaux officiers du nouveau roi, qui avoient autrefois appartenu à Bakhtzeman, et leur apprirent son retour. Ceux-ci firent éclater leur joie, et lui prêtèrent de nouveau serment de fidélité. On se jeta sur l’usurpateur : on lui ôta la vie, et on remit sur le trône le roi Bakhtzeman, aux acclamations de tout le peuple.
» Ce monarque, instruit par le malheur, n’oublia jamais de quelle manière il avait recouvré l’empire. Il se montra toujours soumis et religieux envers Dieu, juste et clément envers les hommes. Le ciel le combla de ses faveurs, et son règne fut une suite continuelle de succès et de prospérités. »
Le jeune intendant, en finissant l’histoire du roi Bakhtzeman, protesta de nouveau à Azadbakht qu’il mettait toute sa confiance en Dieu, qu’il n’attendait de secours que de lui, et qu’il était fermement persuadé qu’il ferait bientôt éclater son innocence. Azadbakht, touché de son air de candeur et des sentiments qu’il faisait paraître, ordonna qu’il fût reconduit en prison.

Le lendemain, qui était le septième jour depuis l’emprisonnement du jeune intendant, le septième visir, qui se nommait Behkemal, vint trouver le roi Azadbakht, pour l’exciter à ordonner la mort du jeune intendant, en lui représentant que son crime était évident, et demandait un châtiment prompt et exemplaire.
Azadbakht ordonna qu’on fît venir le coupable en sa présence, et lui dit : « Je ne puis différer plus long-temps ta punition. Mon honneur et la tranquillité de l’état exigent ta mort, et tu ne peux attendre de moi aucun pardon. »
« Sire, dit le jeune intendant, plus la faute est grande, et plus il y a de mérite à pardonner. Un souverain tel que vous, peut aisément et sans crainte pardonner à un malheureux comme moi, quand la faute aurait éclaté aux yeux du monde entier ; à plus forte raison quand les apparences seules et la malignité le condamnent. Faire grâce de la vie, c’est la plus grande grâce qu’on puisse faire : par-là, la puissance des rois se rapproche de celle de la Divinité ; car laisser vivre celui qu’on peut faire mourir, c’est, pour ainsi dire, rendre la vie à un mort. L’exemple du roi Beherkerd, prouve que les souverains qui font usage de la clémence, en sont eux-mêmes quelquefois récompensés. »
Azadbakht parut désirer d’entendre l’histoire du roi Beherkerd, et le jeune homme la raconta en ces termes :




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