SUITE DE L’HISTOIRE DU PRINCE ASSAD
Assad, cependant, était toujours à la chaîne dans le cachot où il avait été enfermé par l’adresse du rusé vieillard, et Bostane et Cavame, filles du vieillard, le maltraitaient avec la même cruauté et la même inhumanité. La fête solennelle des adorateurs du feu approcha : on équipa le vaisseau qui avait coutume de faire le voyage de la montagne du feu. On le chargea de marchandises par le soin d’un capitaine nommé Behram, grand zélateur de la religion des mages. Quand il fut en état de mettre à la voile, Behram y fit embarquer Assad dans une caisse à moitié pleine de marchandises, avec assez d’ouverture entre les ais pour lui donner la respiration nécessaire, et fit descendre la caisse à fond de cale.
Avant que le vaisseau mît à la voile, le grand vizir Amgiad, frère d’Assad, qui avait été averti que les adorateurs du feu avaient coutume de sacrifier un musulman chaque année sur la montagne du feu, et que Assad, qui était peut-être tombé entre leurs mains, pourrait bien être destiné à cette cérémonie sanglante, voulut en faire la visite. Il y alla en personne et fit monter tous les matelots et tous les passagers sur le tillac, pendant que ses gens firent la recherche dans tout le vaisseau ; mais on ne trouva pas Assad : il était trop bien caché.
La visite faite, le vaisseau sortit du port, et quand il fut en pleine mer, Behram fit tirer le prince Assad de la caisse et le fit mettre à la chaîne pour s’assurer de lui, de crainte, comme il n’ignorait pas qu’on allait le sacrifier, que de désespoir il ne se précipitât dans la mer.
Après quelques jours de navigation, le vent favorable qui avait toujours accompagné le vaisseau devint contraire, et augmenta de manière qu’il excita une tempête des plus furieuses.
Le vaisseau ne perdit pas seulement sa route, Behram et son pilote ne savaient plus même où ils étaient, et ils craignaient de rencontrer quelque rocher à chaque moment et de s’y briser. Au plus fort de la tempête ils découvrirent terre, et Behram la reconnut pour l’endroit où étaient le port et la capitale de la reine Margiane, et il en eut une grande mortification.
En effet, la reine Margiane, qui était musulmane, était ennemie mortelle des adorateurs du feu. Non-seulement elle n’en souffrait pas un seul dans ses états, elle ne permettait même qu’aucun de leurs vaisseaux y abordât.
Il n’était plus au pouvoir de Behram, cependant, d’éviter d’aller au port de la capitale de cette reine, à moins d’aller échouer et se perdre contre la côte, qui était bordée de rochers affreux. Dans cette extrémité il tint conseil avec son pilote et avec ses matelots. « Enfants, dit-il, vous voyez la nécessité où nous sommes réduits. De deux choses l’une : ou il faut que nous soyons engloutis par les flots, ou que nous nous sauvions de la reine Margiane ; mais sa haine implacable contre notre religion et contre tous ceux qui en font profession vous est connue. Elle ne manquera pas de se saisir de notre vaisseau et de nous faire ôter la vie à tous sans miséricorde. Je ne vois qu’un seul remède qui peut-être nous réussira : je suis d’avis que nous ôtions de la chaîne le musulman que nous avons ici, et que nous l’habillions en esclave. Quand la reine Margiane m’aura fait venir devant elle et qu’elle me demandera quel est mon négoce, je lui répondrai que je suis marchand d’esclaves, que j’ai vendu tout ce que j’en avais, et que je n’en ai réservé qu’un seul pour me servir d’écrivain, à cause qu’il sait lire et écrire. Elle voudra le voir, et comme il est bien fait et que d’ailleurs il est de sa religion, elle en sera touchée de compassion et ne manquera pas de me proposer de le lui vendre, et, en cette considération, de nous souffrir dans son port jusqu’au premier beau temps. Si vous savez quelque chose de meilleur, dites-le moi, je vous écouterai. » Le pilote et les matelots applaudirent à son sentiment, qui fut suivi.
La sultane Scheherazade fut obligée d’en demeurer à ces derniers mots, à cause du jour, qui se faisait voir. Elle reprit le même conte la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :
CCXXXIVe NUIT.
Sire, Behram fit ôter le prince Assad de la chaîne et le fit habiller en esclave fort proprement, selon le rang d’écrivain de son vaisseau, sous lequel il voulait le faire paraître devant la reine Margiane. Il fut à peine dans l’état qu’il le souhaitait, que le vaisseau entra dans le port, où il fil jeter l’ancre.
Dès que la reine Margiane, qui avait son palais situé du côté de la mer, de manière que le jardin s’étendait jusqu’au rivage, eut vu que le vaisseau avait mouillé, elle envoya avertir le capitaine de venir lui parler, et pour satisfaire plus tôt sa curiosité, elle vint l’attendre dans le jardin.
Behram, qui s’était attendu d’être appelé, se débarqua avec le prince Assad, après avoir exigé de lui de confirmer qu’il était son esclave et son écrivain, et fut conduit devant la reine Margiane. Il se jeta à ses pieds, et après lui avoir marqué la nécessité qui l’avait obligé de se réfugier dans son port, il lui dit qu’il était marchand d’esclaves, et que Assad, qu’il avait amené, était le seul qui lui restât, et qu’il gardait pour lui servir d’écrivain.
Assad avait plu à la reine Margiane du moment qu’elle l’avait vu, et elle fut ravie d’apprendre qu’il fût esclave. Résolue de l’acheter à quelque prix que ce fût, elle demanda à Assad comment il s’appelait.
« Grande reine, reprit Assad les larmes aux yeux, Votre Majesté me demande-t-elle le nom que je porte aujourd’hui ? – Comment, repartit la reine, est-ce que vous avez deux noms ? – Hélas ! il n’est que trop vrai, répliqua Assad, je m’appelais autrefois Assad (très-heureux), et aujourd’hui je m’appelle Môtar (destiné à être sacrifié). »
Margiane, qui ne pouvait pénétrer le véritable sens de cette réponse, l’appliqua à l’état de son esclavage, et connut en même temps qu’il avait beaucoup d’esprit. « Puisque vous êtes écrivain, lui dit-elle ensuite, je ne doute pas que vous ne sachiez bien écrire : faites-moi voir de votre écriture. »
Assad, muni d’une écritoire qu’il portait à sa ceinture, et de papier par les soins de Behram, qui n’avait pas oublié ces circonstances pour persuader à la reine ce qu’il voulait qu’elle crût, se tira un peu à l’écart et écrivit ces sentences par rapport à sa misère :
« L’aveugle se détourne de la fosse où le clairvoyant se laisse tomber. L’ignorant s’élève aux dignités par des discours qui ne signifient rien : le savant demeure dans la poussière avec son éloquence. Le musulman est dans la dernière misère avec toutes ses richesses : l’infidèle triomphe au milieu de ses biens. On ne peut pas espérer que les choses changent : c’est un décret du Tout-Puissant qu’elles demeurent en cet état. »
Assad présenta le papier à la reine Margiane, qui n’admira pas moins la moralité des sentences que la beauté du caractère, et il n’en fallut pas davantage pour achever d’embraser son cœur et de le toucher d’une véritable compassion pour lui. Elle n’eut pas plutôt achevé de le lire, qu’elle s’adressa à Behram : « Choisissez, lui dit-elle, de me vendre cet esclave ou de m’en faire un présent ; peut-être trouverez-vous mieux votre compte de choisir le dernier. »
Behram reprit assez insolemment qu’il n’avait pas de choix à faire, qu’il avait besoin de son esclave et qu’il voulait le garder.
La reine Margiane, irritée de cette hardiesse, ne voulut point parler davantage à Behram ; elle prit le prince Assad par le bras, le fit marcher devant elle, et en l’emmenant à son palais, elle envoya dire à Behram qu’elle ferait confisquer toutes ses marchandises et mettre le feu à son vaisseau au milieu du port, s’il y passait la nuit. Behram fut contraint de retourner à son vaisseau, bien mortifié, et de faire préparer toutes choses pour remettre à la voile, quoique la tempête ne fût pas encore entièrement apaisée.
La reine Margiane, après avoir commandé en entrant dans son palais que l’on servît promptement le souper, mena Assad à son appartement, où elle le fit asseoir auprès d’elle. Assad voulut s’en défendre, en disant que cet honneur n’appartenait pas à un esclave.
« À un esclave ! reprit la reine, il n’y a qu’un moment que vous l’étiez : mais vous ne l’êtes plus. Asseyez-vous près de moi, vous dis-je, et racontez-moi votre histoire, car ce que vous avez écrit pour me faire voir votre écriture, et l’insolence de ce marchand d’esclaves, me font comprendre qu’elle doit être extraordinaire. »
Le prince Assad obéit, et quand il fut assis : « Puissante reine, dit-il, Votre Majesté ne se trompe pas, mon histoire est véritablement extraordinaire et plus qu’elle ne pourrait se l’imaginer. Les maux, les tourments incroyables que j’ai soufferts et le genre de mort auquel j’étais destiné, dont elle m’a délivré par sa générosité toute royale, lui feront connaître la grandeur de son bienfait, que je n’oublierai jamais. Mais avant d’entrer dans ce détail, qui fait horreur, elle voudra bien que je prenne l’origine de mes malheurs de plus haut. »
Après ce préambule, qui augmenta la curiosité de Margiane, Assad commença par l’informer de sa naissance royale, de celle de son frère Amgiad, de leur amitié réciproque, de la passion condamnable de leurs belles-mères, changée en une haine des plus odieuses, la source de leur étrange destinée. Il vint ensuite à la colère du roi leur père, à la manière presque miraculeuse de la conservation de leur vie, et enfin à la perte qu’il avait faite de son frère, et à la prison si longue et si douloureuse d’où on ne l’avait fait sortir que pour être immolé sur la montagne du feu.
Quand Assad eut achevé son discours, la reine Margiane, animée plus que jamais contre les adorateurs du feu : « Prince, lui dit-elle, nonobstant l’aversion que j’ai toujours eue contre les adorateurs du feu, je n’ai pas laissé d’avoir beaucoup d’humanité pour eux ; mais après le traitement barbare qu’ils vous ont fait, et leur dessein exécrable de faire une victime de votre personne à leur feu, je leur déclare dès à présent une guerre implacable. » Elle voulait s’étendre davantage sur ce sujet, mais l’on servit, et elle se mit à table avec le prince Assad, charmée de le voir et de l’entendre, et déjà prévenue pour lui d’une passion dont elle se promettait de trouver bientôt l’occasion de le faire apercevoir. « Prince, lui dit-elle, il faut vous bien récompenser de tant de jeûnes et de tant de mauvais repas que les impitoyables adorateurs du feu vous ont fait faire. Vous avez besoin de nourriture après tant de souffrances ; » et, en lui disant ces paroles et d’autres à peu près semblables, elle lui servait à manger et lui faisait verser à boire coup sur coup. Le repas dura longtemps, et le prince Assad but quelques coups plus qu’il ne pouvait porter.
Quand la table fut levée, Assad eut besoin de sortir, et il prit son temps pour que la reine ne s’en aperçût pas. Il descendit dans la cour, et, comme il eut vu la porte du jardin ouverte, il y entra ; attiré par les beautés dont il était diversifié, il s’y promena un espace de temps. Il alla enfin jusqu’à un jet d’eau qui en faisait le plus grand agrément, il s’y lava les mains et le visage pour se rafraîchir, et en voulant se reposer sur le gazon dont il était bordé, il s’y endormit.
La nuit approchait alors, et Behram, qui ne voulait pas donner lieu à la reine Margiane d’exécuter sa menace, avait déjà levé l’ancre, bien fâché de la perte qu’il avait faite d’Assad, et d’être frustré de l’espérance d’en faire un sacrifice ; il tâchait néanmoins de se consoler sur ce que la tempête était cessée et qu’un vent de terre le favorisait à s’éloigner. Dès qu’il se fut tiré hors du port avec l’aide de sa chaloupe, avant de la tirer dans le vaisseau : « Enfants, dit-il aux matelots qui étaient dedans, attendez, ne remontez pas, je vais vous faire donner les barils pour faire de l’eau, et je vous attendrai sur les bords. » Les matelots, qui ne savaient l’as où ils en pourraient faire, voulurent s’en excuser ; mais comme Behram avait parlé à la reine dans le jardin et qu’il y avait remarqué le jet d’eau : « Allez aborder devant le jardin du palais, reprit-il, passez par-dessus le mur qui n’est qu’à hauteur d’appui, vous trouverez à faire de l’eau suffisamment dans le bassin qui est au milieu du jardin. »
Les matelots allèrent aborder où Behram leur avait marqué, et après qu’ils se furent chargés chacun d’un baril sur l’épaule, en se débarquant, ils passèrent aisément par-dessus le mur. En approchant du bassin, comme ils eurent aperçu un homme couché qui dormait sur le bord, ils s’approchèrent de lui et ils le reconnurent pour Assad. Ils se partagèrent, et pendant que les uns firent quelques barils d’eau, avec le moins de bruit qu’il leur fut possible, sans perdre le temps à les emplir tous, les autres environnèrent Assad et l’observèrent pour l’arrêter, au cas qu’il s’éveillât. Il leur donna le temps, et dès que les barils furent pleins et chargés sur les épaules de ceux qui devaient les emporter, les autres se saisirent de lui, et l’emmenèrent sans lui donner le temps de se reconnaître ; ils le passèrent par-dessus le mur, l’embarquèrent avec leurs barils et le transportèrent au vaisseau à force de rames. Quand ils furent près d’aborder au vaisseau : « Capitaine s’écrièrent-ils avec des éclats de joie, faites jouer vos hautbois et vos tambours : nous vous ramenons votre esclave. ».
Behram, qui ne pouvait comprendre comment ses matelots auraient pu retrouver et reprendre Assad, et qui ne pouvait aussi l’apercevoir dans la chaloupe à cause de la nuit, attendit avec impatience qu’ils fussent remontés sur le vaisseau pour leur demander ce qu’ils voulaient dire ; mais quand il l’eut vu devant ses yeux, il ne put se contenir de joie, et, sans s’informer comment ils s’y étaient pris pour faire une si belle capture, il le fit remettre à la chaîne, et, après avoir fait tirer la chaloupe dans le vaisseau en diligence, il fit force de voile en reprenant la route de la montagne du feu.
La sultane Scheherazade ne passa pas plus outre pour cette nuit. Elle poursuivit la suivante, et dit au sultan des Indes :
CCXXXVe NUIT.
Sire, j’achevai hier en faisant remarquer à Votre Majesté que Behram avait repris la route de la montagne du feu, bien joyeux de ce que ses matelots lui avaient ramené le prince Assad.
La reine Margiane cependant était dans de grandes alarmes : elle ne s’inquiéta pas d’abord, quand elle se fut aperçu que le prince Assad était sorti. Comme elle ne douta pas qu’il ne dût revenir bientôt, elle l’attendit avec patience. Au bout de quelque temps qu’elle vit qu’il ne paraissait pas, elle commença d’en être inquiète. Elle commanda à ses femmes de voir où il était ; elles le cherchèrent et elles ne lui en portèrent pas de nouvelles. La nuit vint, et elle le fit chercher à la lumière, mais aussi inutilement.
Dans l’impatience et dans l’alarme où la reine Margiane fut alors, elle alla le chercher elle-même à la lumière des flambeaux, et comme elle eut aperçu que la porte du jardin était ouverte, elle y entra et le parcourut avec ses femmes. En passant près du jet d’eau et du bassin, elle remarqua une pabouche sur le bord du gazon, qu’elle fit ramasser, et elle la reconnut pour une des deux du prince, de même que ses femmes. Cela, joint à l’eau répandue sur le bord du bassin, lui fit croire que Behram pourrait bien l’avoir fait enlever. Elle envoya savoir dans le moment s’il était encore au port, et comme elle eut appris qu’il avait fait voile un peu avant la nuit, qu’il s’était arrêté quelque temps sur les bords, et que sa chaloupe était venue faire de l’eau dans le jardin, elle envoya avertir le commandant de dix vaisseaux de guerre qu’elle avait dans son port, toujours équipés et prêts à partir au premier commandement, qu’elle voulait s’embarquer en personne le lendemain, à une heure de jour.
Le commandant fit ses diligences, il assembla les capitaines, les autres officiers, les matelots, les soldats, et tout fut embarqué à l’heure qu’elle avait souhaité. Elle s’embarqua, et quand son escadre fut hors du port et à la voile, elle déclara son intention au commandant. « Je veux, dit-elle, que vous fassiez force de voile, et que vous donniez la chasse au vaisseau marchand qui partit de ce port hier au soir. Je vous l’abandonne si vous le prenez ; mais si vous ne le prenez pas, votre vie m’en répondra. »
Les dix vaisseaux donnèrent la chasse au vaisseau de Behram deux jours entiers, et ne virent rien. Ils le découvrirent le troisième, à la pointe du jour, et sur le midi ils l’environnèrent de manière qu’il ne pouvait pas échapper.
Dès que le cruel Behram eut aperçu les dix vaisseaux, il ne douta pas que ce ne fût l’escadre de la reine Margiane qui le poursuivait, et alors il donnait la bastonnade à Assad : car depuis son embarquement dans son vaisseau au port de la ville des mages, il n’avait pas manqué un jour de lui faire ce même traitement : cela fit qu’il le maltraita plus que de coutume. Il se trouva dans un grand embarras quand il vit qu’il allait être environné. De garder Assad, c’était se déclarer coupable ; de lui ôter aussi la vie, il craignait qu’il n’en parût quelque marque. Il le fit déchaîner, et quand on l’eut fait monter du fond de cale où il était, et qu’on l’eut amené devant lui : « C’est toi, dit-il, qui est cause qu’on nous poursuit ; » et en disant ces paroles il le jeta dans la mer.
Le prince Assad, qui savait nager, s’aida de ses pieds et de ses mains avec tant de courage, à la faveur des flots qui le secondaient, qu’il en eut assez pour ne pas succomber et pour gagner la terre. Quand il fut sur le rivage, la première chose qu’il
fit fut de remercier Dieu de l’avoir délivré d’un si grand danger, et tiré encore une fois des mains des adorateurs du feu. Il se dépouilla ensuite, et après avoir bien exprimé l’eau de son habit, il l’étendit sur un rocher, où il fut bientôt séché, tant par l’ardeur du soleil que par la chaleur du rocher qui en était échauffé.
Il se reposa cependant, en déplorant sa misère, sans savoir en quel pays il était, ni de quel côté il tournerait. Il reprit enfin son habit, et marcha sans trop s’éloigner de la mer jusqu’à ce qu’il eût trouvé un chemin qu’il suivit. Il chemina plus de dix jours par un pays où personne n’habitait, et où il ne trouvait que des fruits sauvages et quelques plantes le long des ruisseaux, dont il vivait. Il arriva enfin près d’une ville, qu’il reconnut pour celle des mages, où il avait été si fort maltraité, et où son frère Amgiad était grand vizir. Il en eut de la joie ; mais il fit bien résolution de ne pas s’approcher d’aucun adorateur du feu, mais seulement de quelque musulman ; car il se souvenait d’y en avoir remarqué quelques-uns la première fois qu’il y était entré. Comme il était tard et qu’il savait bien que les boutiques étaient déjà fermées, et qu’il trouverait peu de monde dans les rues, il prit le parti de s’arrêter dans le cimetière qui était près de la ville, où il y avait plusieurs tombeaux élevés en façon de mausolées. En cherchant il en trouva un où il entra, résolu d’y passer la nuit.
Revenons présentement au vaisseau de Behram : il ne fut pas longtemps à être investi de tous les côtés par les vaisseaux de la reine Margiane, après qu’il eut jeté le prince Assad à la mer. Il fut abordé par le vaisseau où était la reine, et à son approche, comme il n’était en état de faire aucune résistance, Behram fit plier les voiles pour marquer qu’il se rendait.
La reine Margiane passa elle-même sur le vaisseau, et demanda à Behram où était l’écrivain qu’il avait eu la témérité d’enlever ou de faire enlever dans son palais. « Reine, répondit Behram, je jure à Votre Majesté qu’il n’est pas sur mon vais-
seau ; elle peut le faire chercher, et connaître par-là mon innocence. »
Margiane fit faire la visite du vaisseau avec toute l’exactitude possible : mais on ne trouva pas celui qu’elle souhaitait si passionnément de retrouver, autant parce qu’elle l’aimait, que par la générosité qui lui était naturelle. Elle fut sur le point de lui ôter la vie de sa propre main, mais elle se retint et elle se contenta de confisquer son vaisseau et toute la charge, et de le renvoyer par terre avec tous ses matelots, en lui laissant sa chaloupe pour y aller aborder.
Behram, accompagné de ses matelots, arriva à la ville des mages la même nuit qu’Assad s’était arrêté dans le cimetière et retiré dans le tombeau. Comme la porte était fermée, il fut contraint de chercher aussi dans le cimetière quelque tombeau, pour y attendre qu’il fût jour et qu’on l’ouvrît.
Par malheur pour Assad, Behram passa devant celui où il était. Il y entra et y vit un homme qui dormait, la tête enveloppée dans son habit. Assad s’éveilla au bruit, et en levant la tête il demanda qui c’était.
Behram le reconnut d’abord : « Ha ! ha ! dit-il, vous êtes donc celui qui êtes cause que je suis ruiné pour le reste de ma vie ! Vous n’avez pas été sacrifié cette année ; mais vous n’échapperez pas de même l’année prochaine. » En disant ces paroles il se jeta sur lui, lui mit son mouchoir sur la bouche pour l’empêcher de crier, et le fit lier par ses matelots.
Le lendemain matin, dès que la porte fut ouverte, il fut aisé à Behram de remener Assad chez le vieillard qui l’avait abusé avec tant de méchanceté, par des rues détournées où personne n’était encore levé. Dès qu’il y fut entré, il le fit descendre dans le même cachot d’où il avait été tiré, et informa le vieillard du triste sujet de son retour, et du malheureux succès de son voyage. Le méchant vieillard n’oublia pas d’enjoindre à ses deux filles de maltraiter le prince infortuné plus qu’auparavant, s’il était possible.
Assad fut extrêmement surpris de se revoir dans le même lieu où il avait déjà tant souffert ; et dans l’attente des mêmes tourments dont il avait cru être délivré pour toujours, il pleurait la rigueur de son destin, lorsqu’il vit entrer Bostane avec un bâton, un pain et une cruche d’eau. Il frémit à la vue de cette impitoyable et à la seule pensée des supplices journaliers qu’il avait encore à souffrir toute une année, pour mourir ensuite d’une manière pleine d’horreur.
Mais le jour, que la sultane Scheherazade vit paraître comme elle en était à ces dernières paroles, l’obligea de s’interrompre. Elle reprit le même conte la nuit suivante, et dit au sultan des Indes :
CCXXXVIe NUIT.
Sire, Bostane traita le malheureux prince Assad aussi cruellement qu’elle l’avait déjà fait dans sa première détention. Les lamentations, les plaintes, les instantes prières d’Assad, qui la suppliait de l’épargner, jointes à ses larmes, furent si vives que Bostane ne put s’empêcher d’en être attendrie et de verser des larmes avec lui. « Seigneur, lui dit-elle en lui recouvrant les épaules, je vous demande mille pardons de la cruauté avec laquelle je vous ai traité ci-devant, et dont je viens de vous faire sentir encore des effets. Jusqu’à présent je n’ai pu désobéir à un père injustement animé contre vous et acharné à votre perte ; mais enfin je déteste et j’abhorre cette barbarie. Consolez-vous, vos maux sont finis, et je vais tâcher de réparer tous mes crimes, dont je connais l’énormité, par de meilleurs traitements. Vous m’avez regardée jusqu’aujourd’hui comme une infidèle, regardez-moi présentement comme une musulmane. J’ai déjà quelque instruction qu’une esclave de votre religion, qui me sert, m’a donnée. J’espère que vous voudrez bien achever ce qu’elle a commencé. Pour vous marquer ma bonne intention, je demande pardon au vrai Dieu de toutes mes offenses, par les mauvais traitements que je vous ai faits, et j’ai confiance qu’il me fera trouver le moyen de vous mettre dans une entière liberté. »
Ce discours fut d’une grande consolation au prince Assad. Il rendit des actions de grâces à Dieu de ce qu’il avait touché le cœur de Bostane, et après qu’il l’eut bien remerciée des bons sentiments où elle était pour lui, il n’oublia rien pour l’y confirmer, non-seulement en achevant de l’instruire de la religion musulmane, mais même en lui faisant le récit de son histoire, et de toutes ses disgrâces dans le haut rang de sa naissance. Quand il fut entièrement assuré de sa fermeté dans la bonne résolution qu’elle avait prise, il lui demanda comment elle ferait pour empêcher que sa sœur Cavame n’en eût connaissance et ne vînt le maltraiter à son tour. « Que cela ne vous chagrine pas, reprit Bostane ; je saurai bien faire en sorte qu’elle ne se mêle plus de vous voir. »
En effet, Bostane sut toujours prévenir Cavame toutes les fois qu’elle voulait descendre au cachot. Elle voyait cependant fort souvent le prince Assad, et au lieu de ne lui porter que du pain et de l’eau, elle lui portait du vin et de bons mets, qu’elle faisait préparer par douze esclaves musulmanes qui la servaient. Elle mangeait même de temps en temps avec lui, et faisait tout ce qui était en son pouvoir pour le consoler.
Quelques jours après, Bostane était à la porte de la maison, lorsqu’elle entendit un crieur public qui publiait quelque chose. Comme elle n’entendait pas ce que c’était, à cause que le crieur était trop éloigné, et qu’il approchait pour passer devant la maison, elle rentra, et en tenant la porte à demi ouverte, elle vit qu’il marchait devant le grand vizir Amgiad, frère du prince Assad, accompagné de plusieurs officiers et de quantité de ses gens qui marchaient devant et après lui.
Le crieur n’était plus qu’à quelques pas de la porte, lorsqu’il répéta ce cri à haute voix : « L’excellent et l’illustre grand vizir, que voici en personne, cherche son cher frère, qui s’est séparé d’avec lui il y a plus d’un an. Il est fait de telle et telle manière. Si quelqu’un le garde chez soi ou sait où il est, son excellence commande qu’il ait à le lui amener ou à lui en donner avis, avec promesse de le bien récompenser. Si quelqu’un le cache et qu’on le découvre, son excellence déclare qu’elle le punira de mort, lui, sa femme, ses enfants et toute sa famille, et fera raser sa maison. »
Bostane n’eut pas plutôt entendu ces paroles, qu’elle ferma la porte au plus vite, et alla trouver Assad dans le cachot.
« Prince, lui dit-elle avec joie, vous êtes à la fin de vos malheurs : suivez-moi et venez promptement. » Assad, qu’elle avait ôté de la chaîne dès le premier jour qu’il avait été ramené dans le cachot, la suivit jusque dans la rue, où elle cria ; « Le voici ! le voici ! »
Le grand vizir, qui n’était pas encore éloigné, se retourna. Assad le reconnut pour son frère, courut à lui et l’embrassa. Amgiad, qui le reconnut aussi d’abord, l’embrassa de même très-étroitement, le fit monter sur le cheval d’un de ses officiers, qui mit pied à terre, et le mena au palais en triomphe, où il le présenta au roi, qui le fit un de ses vizirs.
Bostane, qui n’avait pas voulu rentrer chez son père, dont la maison fut rasée dès le même jour, et qui n’avait pas perdu le prince Assad de vue jusqu’au palais, fut envoyée à l’appartement de la reine. Le vieillard son père et Behram, amenés devant le roi, avec leurs familles, furent condamnés à avoir la tête tranchée. Ils se jetèrent à ses pieds et implorèrent sa clémence. « Il n’y a pas de grâce pour vous, reprit le roi, que vous ne renonciez à l’adoration du feu et que vous n’embrassiez la religion musulmane. » Ils sauvèrent leur vie en prenant ce parti, de même que Cavame, sœur de Bostane, et leurs familles.
En considération de ce que Behram s’était fait musulman, Amgiad, qui voulut le récompenser aussi de la perte qu’il avait faite avant de mériter sa grâce, le fit un de ses principaux officiers et le logea chez lui. Behram, informé en peu de jours de l’histoire d’Amgiad, son bienfaiteur, et d’Assad, son frère, leur proposa de faire équiper un vaisseau et de les remener au roi Camaralzaman, leur père. « Apparemment, leur dit-il, qu’il a reconnu votre innocence et qu’il désire impatiemment de vous revoir. Si cela n’est pas, il ne sera pas difficile de la lui faire reconnaître avant de se débarquer ; et s’il demeure dans son injuste prévention, vous n’aurez que la peine de revenir. »
Les deux frères acceptèrent l’offre de Behram ; ils parlèrent de leur dessein au roi, qui l’approuva, et donnèrent ordre à l’équipement d’un vaisseau. Behram s’y employa avec toute la diligence possible, et quand il fut prêt de mettre à la voile, les princes allèrent prendre congé du roi un matin, avant d’aller s’embarquer. Dans le temps qu’ils faisaient leurs compliments et qu’ils remerciaient le roi de ses bontés, on entendit un grand tumulte par toute la ville, et en même temps un officier vint annoncer qu’une grande armée s’approchait et que personne ne savait quelle armée c’était.
Dans l’alarme que cette fâcheuse nouvelle donna au roi, Amgiad prit la parole : « Sire, lui dit-il, quoique je vienne de remettre entre les mains de Votre Majesté la dignité de son premier ministre dont elle m’avait honoré, je suis prêt néanmoins de lui rendre encore service, et je la supplie de vouloir bien que j’aille voir qui est cet ennemi qui vient vous attaquer dans votre capitale, sans vous avoir déclaré la guerre auparavant. » Le roi l’en pria, et il partit sur-le-champ avec peu de suite.
Le prince Amgiad ne fut pas longtemps à découvrir l’armée, qui lui parut puissante et qui avançait toujours. Les avant-coureurs, qui avaient leurs ordres, le reçurent favorablement et le menèrent devant une princesse, qui s’arrêta avec toute son armée pour lui parler. Le prince Amgiad lui fit une profonde révérence et lui demanda si elle venait comme amie ou comme ennemie, et, si elle venait comme ennemie, quel sujet de plainte elle avait contre le roi son maître.
« Je viens comme amie, répondit la princesse, et je n’ai aucun sujet de mécontentement contre le roi des mages. Ses états et les miens sont situés d’une manière qu’il est difficile que nous puissions avoir aucun démêlé ensemble. Je viens seulement demander un esclave nommé Assad, qui m’a été enlevé par un capitaine de cette ville qui s’appelle Behram, le plus insolent de tous les hommes, et j’espère que votre roi me fera justice quand il saura que je suis Margiane.
« – Puissante reine, reprit le prince Amgiad, je suis le frère de cet esclave que vous cherchez avec tant de peine. Je l’avais perdu et je l’ai retrouvé. Venez, je vous le livrerai moi-même, et j’aurai l’honneur de vous entretenir de tout le reste : le roi mon maître sera ravi de vous voir. »
Pendant que l’armée de la reine Margiane campa au même endroit par son ordre, le prince Amgiad l’accompagna jusque dans la ville et jusqu’au palais, où il la présenta au roi ; et après que le roi l’eut reçue comme elle le méritait, le prince Assad, qui était présent et qui l’avait reconnue dès qu’elle avait paru, lui fit son compliment. Elle lui témoignait la joie qu’elle avait de le revoir, lorsqu’on vint apprendre au roi qu’une armée plus formidable que la première paraissait d’un autre côté de la ville.
Le roi des mages, épouvanté plus que la première fois de l’arrivée d’une seconde armée plus nombreuse que la première, comme il en jugeait lui-même par les nuages de poussière qu’elle excitait à son approche et qui couvraient déjà le ciel :
« Amgiad, s’écria-t-il, où en sommes-nous ? Voilà une nouvelle armée qui va nous accabler. »
Amgiad comprit l’intention du roi, il monta à cheval et courut à toute bride au-devant de cette nouvelle armée. Il demanda aux premiers qu’il rencontra à parler à celui qui la commandait, et on le conduisit devant un roi qu’il reconnut à la couronne qu’il portait sur la tête. De si loin qu’il l’aperçut, il mit pied à terre, et lorsqu’il fut près de lui, après qu’il se fut jeté la face en terre, il lui demanda ce qu’il souhaitait du roi son maître.
« Je m’appelle Gaïour, reprit le roi, et suis roi de la Chine. Le désir d’apprendre des nouvelles d’une fille nommée Badoure,
que j’ai mariée depuis plusieurs années au prince Camaralzaman, fils du roi Schahzaman, roi des îles des Enfants de Khaledan, m’a obligé de sortir de mes états. J’avais permis à ce prince d’aller voir le roi son père, à la charge de venir me revoir d’année en année avec ma fille ; depuis tant de temps, cependant, je n’en ai pas entendu parler. Votre roi obligerait un père affligé de lui apprendre ce qu’il en peut savoir. »
Le prince Amgiad, qui reconnut le roi son grand-père à ce discours, lui baisa la main avec tendresse, et en lui répondant :
« Sire, Votre Majesté pardonnera cette liberté quand elle saura que je la prends pour lui rendre mes respects comme à mon grand-père. Je suis fils de Camaralzaman, aujourd’hui roi de l’île d’Ébène, et de la reine Badoure, dont elle est en peine, et je ne doute pas qu’ils ne soient en parfaite santé dans leur royaume. »
Le roi de la Chine, ravi de voir son petit-fils, l’embrassa aussitôt très-tendrement, et cette rencontre si heureuse et si peu attendue leur tira des larmes de part et d’autre. Sur la demande qu’il fit au prince Amgiad du sujet qui l’avait amené dans ce pays étranger, le prince lui raconta toute son histoire et celle du prince Assad, son frère. Quand il eut achevé : « Mon fils, reprit le roi de la Chine, il n’est pas juste que des princes innocents comme vous soient maltraités plus longtemps. Consolez-vous, je vous remènerai, vous et votre frère, et je ferai votre paix. Retournez, et faites part de mon arrivée à votre frère. »
Pendant que le roi de la Chine campa à l’endroit où le prince Amgiad l’avait trouvé, le prince Amgiad retourna rendre réponse au roi des mages, qui l’attendait avec grande impatience. Le roi fut extrêmement surpris d’apprendre qu’un roi aussi puissant que celui de la Chine eût entrepris un voyage si long et si pénible, excité par le désir de voir sa fille, et qu’il fût si près de sa capitale. Il donna aussitôt les ordres pour le bien régaler et se mit en état d’aller le recevoir.
Dans cet intervalle, on vit paraître une grande poussière d’un autre côté de la ville, et l’on apprit bientôt que c’était une troisième armée qui arrivait. Cela obligea le roi de demeurer et de prier le prince Amgiad d’aller voir encore ce qu’elle demandait.
Amgiad partit, et le prince Assad l’accompagna cette fois. Ils trouvèrent que c’était l’armée de Camaralzaman, leur père, qui venait les chercher. Il avait donné des marques d’une si grande douleur de les avoir perdus, que l’émir Giondar à la fin lui avait déclaré de quelle manière il leur avait conservé la vie ; ce qui l’avait fait résoudre de les aller chercher en quelque pays qu’ils fussent.
Ce père affligé embrassa les deux princes avec des ruisseaux de larmes de joie, qui terminèrent agréablement les larmes d’affliction qu’il versait depuis si longtemps. Les princes ne lui eurent pas plutôt appris que le roi de la Chine, son beau-père, venait d’arriver aussi le même jour, qu’il se détacha avec eux et avec peu de suite et alla le voir en son camp. Ils n’avaient pas fait beaucoup de chemin qu’ils aperçurent une quatrième armée qui s’avançait en bel ordre, et paraissait venir du côté de Perse.
Camaralzaman dit aux princes ses fils d’aller voir quelle armée c’était, et qu’il les attendrait. Ils partirent aussitôt, et à leur arrivée ils furent présentés au roi à qui l’armée appartenait. Après l’avoir salué profondément, ils lui demandèrent à quel dessein il s’était approché si près de la capitale du roi des mages.
Le vizir, qui était présent, prit la parole. « Le roi à qui vous venez de parler, leur dit-il, est Schahzaman, roi des îles des Enfants de Khaledan, qui voyage depuis longtemps dans l’équipage que vous voyez, en cherchant le prince Camaralzaman, son fils, qui est sorti de ses états il y a de longues années. Si vous en savez quelques nouvelles, vous lui ferez le plus grand plaisir du monde de l’en informer. »
Les princes ne répondirent autre chose sinon qu’ils apporteraient la réponse dans peu de temps, et ils revinrent à toute bride annoncer à Camaralzaman que la dernière armée qui venait d’arriver était celle du roi Schahzaman, et que ce roi, son père, y était en personne.
L’étonnement, la surprise, la joie, la douleur d’avoir abandonné le roi son père, sans prendre congé de lui, firent un si puissant effet sur l’esprit du roi Camaralzaman, qu’il tomba évanoui dès qu’il eut appris qu’il était si près de lui ; il revint à la fin par l’empressement des princes Amgiad et Assad à le soulager, et lorsqu’il se sentit assez de forces, il alla se jeter aux pieds du roi Schahzaman.
De longtemps il ne s’était vu une entrevue si tendre entre un père et un fils. Schahzaman se plaignit obligeamment au roi Camaralzaman de l’insensibilité qu’il avait eue en s’éloignant de lui d’une manière si cruelle, et Camaralzaman lui témoigna un véritable regret de la faute que l’amour lui avait fait commettre.
Les trois rois et la reine Margiane demeurèrent trois jours à la cour du roi des Mages, qui les régala magnifiquement. Ces trois jours furent aussi très-remarquables par le mariage du prince Assad avec la reine Margiane, et du prince Amgiad avec Bostane, en considération du service qu’elle avait rendu au prince Assad. Les trois rois enfin, et la reine Margiane, avec Assad son époux, se retirèrent chacun dans leur royaume. Pour ce qui est d’Amgiad, le roi des mages, qui l’avait pris en affection et qui était déjà fort âgé, lui mit la couronne sur la tête, et Amgiad mit toute son application à détruire le culte du feu et à établir la religion musulmane dans ses états(1)
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(1) : On croit que la portion la plus ancienne de la rédaction actuelle des Mille et Une Nuits finit avec l’histoire de Camaralzaman, et que les contes qui suivent sont plus modernes.